Le Bitcoin, la reine des crypto-monnaies ?
C’est en tout cas la proposition avancée par le développeur Bitcoin Core Jimmy Song au début du mois d’avril 2018, à travers un excellent billet intitulé « Why Bitcoin is different ».
Cette tribune, qui peut sans doute être considérée comme partisane, ne ravira pas les « altcoin maximalists » – des investisseurs qui s’attendent à ce que le « roi » Bitcoin finisse, dans les années à venir, par être détrôné par un coin plus récent, plus performant et offrant des fonctionnalités supplémentaires.
Appréhendée avec le recul nécessaire, elle nous semble toutefois particulièrement intéressante dans la mesure où elle permet de mieux comprendre pourquoi, en dépit d’une technologie plus ancienne et moins avancée que celle de nombreux réseaux blockchain, le BTC représente encore aujourd’hui, 9 ans après son arrivée, plus de 45% de la valorisation de l’écosystème.
L’article que vous allez lire est une traduction libre du texte de Jimmy Song. Le « je » qui s’exprime est le « je » de l’auteur. N’hésitez pas à consulter le billet d’origine en cliquant sur ce lien.
Si vous êtes nouveau dans l’écosystème Bitcoin, alors ces derniers mois ont été plutôt mouvementés. Nous avons assisté à des flambées folles et à des chutes paralysantes, dans un tourbillon d’émotions difficile à contrôler.
Les évolutions du prix sont tantôt enthousiasmantes, tantôt douloureuses. Il est donc assez facile de perdre de vue ce dans quoi vous avez investi.
Et puisque tous les coins semblent évoluer dans la même sens, quelle est la différence ? Comment peut-on distinguer un coin d’un autre ? Et, plus important, comment un investisseur peut-il prédire la valeur que pourra atteindre un coin sur le long terme ?
Dans cet article, je vais tenter d’expliquer en quoi le BTC est une crypto-monnaie différente. Je vais tenter de montrer en quoi le Bitcoin constitue un système qui, en dépit des nombreuses copies qui ont été développées, n’a jamais pu être véritablement répliqué.
Une réelle innovation
Afin de bien comprendre la proposition de valeur du Bitcoin, il est intéressant de regarder un peu en arrière. Il est tentant de croire que la dernière ICO ou le dernier altcoin est celui qui va réussir à « améliorer » le Bitcoin, à régler tous ses problèmes, et que le Bitcoin sera bientôt relégué aux poubelles de l’histoire car il lui manquerait une « fonctionnalité » en particulier. En effet, presque chaque altcoin, ICO ou « hard fork » pense qu’il est fondamentalement innovant.
Ce qu’ils oublient, c’est que la plus grande innovation a déjà eu lieu.
La rareté numérique décentralisée, voilà la véritable l’innovation. Le Bitcoin fut le premier à l’introduire et, comme cet article tente de le démontrer, il continue à être le seul coin de ce type. L’ensemble des autres prétendues innovations – telles que des délais de confirmation plus rapides, des changements vers des « proof-of-quelque chose », la « turing-complétude », un autre algorithme de signature, un autre mode de traitement des transactions et même la confidentialité – tout cela ne constitue que des variations légères de l’innovation gigantesque que représente le Bitcoin.
Il est important de se souvenir que des alternatives au Bitcoin ont été proposées dès 2011 – et qu’aucune d’entre elles n’a été en mesure de remplacer le Bitcoin en termes de prix, d’utilisation ou de sécurité.
L’IxCoin était un clone du Bitcoin, créé en 2011, qui disposait de blocs plus grands ainsi que d’un premine (un nombre important de coins étaient attribués d’emblée à son créateur). Le Tenebrix était un altcoin créé en 2011, qui a tenté d’intégrer une « résistance aux GPUs » – et qui comportait également un premine important. Le Solidcoin était un autre altcoin, lancé en 2011, avec des « blocktimes » moins importants, et, encore une fois, un premine.
Les seuls coins nés sous cette ère qui soient parvenus à survivre (et dont le réseau est encore utilisé) sont le Namecoin et le Litecoin – des coins qui partagent d’ailleurs la caractéristique de ne pas avoir été assortis d’un premine.

Et les ICOs ne constituent pas quelque chose de nouveau. Le Mastercoin avait conduit une ICO en 2013, avec, vous l’aurez deviné, un premine, et était parvenu à lever plus de 5 000 BTCs. Il avait du changer de nom (et devenir Omni) car son écosystème ne lui était pas suffisamment favorable. Le Factom avait lancé une ICO en 2015, et avait récolté plus de 2 000 BTCs. L’entité à l’origine de sa création avait ensuite organisé plusieurs tours de table destinés à obtenir des financement additionnels, car elle ne disposait plus des fonds nécessaires à son développement.
En d’autres termes, tous ces nouveaux tokens « enthousiasmants » ont généralement accompli peu de choses, et n’ont pas apporté d’utilité réelle. Les altcoins et les ICOs ont essayé de nombreuses « fonctionnalités » différentes, et la plupart ne se sont pas avérées utiles, ou n’ont pas fait l’objet d’une large adoption.
Mais alors, qu’est-ce qui fait qu’une monnaie est adoptée ? Pourquoi le Bitcoin jouit-il d’un rôle particulier dans l’écosystème. Pourquoi est-il différent ?
Explorons deux aspects uniques qui font que le Bitcoin est différent des autres : l’effet de réseau et la décentralisation.
L’effet de réseau
Dans la mesure où le Bitcoin revendique le plus grand réseau, et qu’il profite ainsi de son effet de réseau, les autres coins ne font que jouer à un jeu de rattrapage.
C’est un peu comme si le Bitcoin représentait une semaine de 7 jours, et que chaque autre altcoin proposait une variation (Mettons en place une semaine de 4 jours ! Limitons les journées à 18 heures ! Changeons les noms des jours ! Modifions les durées des semaines selon les désirs d’une autorité centrale !).
Cela va sans dire, mais ces « innovations » sont, au mieux, mineures, et ne font généralement pas l’objet d’une adoption. La raison est la suivante : l’effet de réseau du Bitcoin croît au fur et à mesure du temps, et les internautes qui utilisent le réseau rendent plus optimales les normes établies par celui-ci, ce qui conduit d’autres personnes à se tourner, à leur tour, vers lui.Au fur et à mesure de l’expansion du réseau, nous constatons les bénéfices subtils, jusque-là invisibles, que l’on peut attribuer à chacune des normes établies par le Bitcoin.
Ce qui pourrait, à première vue, sembler inefficient, va induire des avantages à ceux qui se conforment à la norme. Par exemple, si les voitures ne volent pas ou ne roulent pas sur l’eau, c’est parce que ces véhicules ont été optimisés pour un usage sur le sol. L’absence de fonctionnalités supplémentaires rend les voitures plus utiles, dans la mesure où il est plus facile de se garer (avec une taille plus petite que celle d »un hybride bateau/voiture/avion théorique), qu’elles sont moins coûteuses à maintenir, à alimenter en énergie, etc.
Par ailleurs, ces normes ont pu résister aux épreuves du temps, et ont pu prouver leur résilience, d’une manière qui n’était pas forcément évidente au départ. Vous ne voudriez pas, par exemple, être la première personne à voler dans un véhicule hybride voiture/avion, puisque vous ignorez si un tel véhicule est suffisamment sécurisé. À l’inverse, un véhicule qui est utilisé depuis des décennies a pu prouver sa sécurité.
Dans un sens, le Bitcoin offre le « bug bounty » le plus intéressant pour inciter des informaticiens à chercher ses failles de sécurité éventuelles. Et par conséquent, le Bitcoin a pu prouver sa sécurité avec la seule chose qui permet véritablement de tester celle-ci : le temps.
De leur côté, les autres coins sont plus jeunes et/ou ont montré qu’ils étaient moins sécurisés.
Ainsi, la nature douteuse de nombreuses nouvelles « fonctionnalités » devient, avec le temps, extrêmement claire. Par exemple, le fait qu’Ethereum s’appuie sur un langage de programmation « turing-complet » rend l’ensemble de la plateforme plus vulnérable (comme l’ont montré les failles de TheDAO et de Parity).
A l’inverse, le language de « smart contracts » du Bitcoin, Script, n’a pas cherché à être « Turing-complet » – c’est d’ailleurs précisément pour cette raison ! La réponse habituelle de l’autorité centrale d’un coin consiste à résoudre ces vulnérabilités à travers un comportement encore plus autoritaire (plans de sauvetage, hard forks,…). En d’autres termes, l’effet de réseau et le temps agissent, avec la centralisation, comme un catalyseur qui va rendre les altcoins encore moins résistants.
De son côté, le Bitcoin s’appuie sur le réseau le plus vaste. Ainsi, l’utilité du Bitcoin va s’accroître du simple fait qu’il revendique le plus grand nombre d’utilisateurs. Il est, par exemple, bien plus facile d’obtenir des accessoires à mettre sur un smartphone populaire que ça ne l’est pour un smartphone non populaire. L’écosystème bâti autour du Bitcoin rend le fait d’obtenir et de conserver des BTCs bien plus facile que ce n’est le cas pour un(e) « altcoin/ICO of the week ».
La décentralisation
L’autre propriété principale du Bitcoin, dont ne jouit aucun autre coin, c’est la décentralisation.
Par décentralisé, je veux dire que le Bitcoin ne souffre d’aucun point unique de défaillance ou de goulot d’étranglement. Chacun des autres coins s’appuie sur un fondateur ou sur une société qui en est à l’origine et exerce la plus grande influence sur celui-ci.
Un hard fork imposé aux utilisateurs, par exemple, constitue la preuve qu’un coin est relativement centralisé.
Certes, les coins centralisés ont l” »avantage » de pouvoir évoluer rapidement, pour faire face aux demandes du marché. La centralisation est une bonne chose pour les entreprises, dans la mesure où celles-ci cherchent à générer des profits en offrant de bons produits ou services à leurs clients. Une société centralisée est capable de mieux répondre à la demande du marché, et à apporter des modifications à son offre afin de tenter d’accroître ses profits.
Mais pour l’argent, la centralisation est une mauvaise chose.
Tout d’abord, l’une des principales propositions de valeur pour une réserve de valeur, c’est qu’il doit s’agir d’un actif dont les propriétés ne vont pas changer avec le temps (l’immutabilité). Une réserve de valeur a besoin que ses qualités restent identiques, ou s’améliorent au fil des années. Un changement qui viendrait modifier ses propriétés (une augmentation de l’offre, une diminution de son acceptation, une modification au niveau de la sécurité) va drastiquement modifier son utilité en tant que réserve de valeur.
Ensuite, la centralisation d’une monnaie peut avoir tendance à aboutir à des changements de règles – ce qui suppose bien souvent des effets catastrophiques. Ainsi, on peut constater, à travers l’histoire des banques centrales au cours du 20ème siècle, une dégradation lente de l’utilité des monnaies fiduciaires en tant que réserves de valeur. C’est la raison pour laquelle celles-ci disposent, en moyenne, d’une durée de vie de seulement 27 ans – et ce malgré le fait qu’elles soient soutenues par des entités puissantes (des gouvernements), et qu’elle soit quasi-universellement utilisées comme un moyen d’échange dans un pays tout entier.
Mais pour qu’une monnaie puisse survivre, ses « fonctionnalités », sa capacité à réagir rapidement ou encore son taux d’utilisation sont loin d’être aussi importants que ne le sont sa rareté et son caractère immuable.
Chaque crypto-monnaie, chaque ICO autre que le Bitcoin est centralisée. Pour une ICO, cela saute aux yeux. L’entité qui en est à l’origine représente la partie centralisée. Elle émet ce token, et peut décider de modifier la façon dont il sera utilisé, de modifier les incitations autour de lui ou d’émettre des tokens supplémentaires. Elle peut également décider brusquement de ne plus accepter ces tokens pour ses biens et/ou ses services.
Les altcoins souffrent du même problème – même si ce n’est pas, à première vue, aussi évident. D’habitude, le créateur est, de fait, une sorte de « dictateur » pour le coin qu’il a créé. Il dispose d’un pouvoir analogue à celui d’un gouvernement. La mise en place d’impôts (taxe des développeurs, taxe de stockage, etc.), d’une inflation, un changement dans la direction que va prendre le réseau (TheDAO, proof-of‑X,…) sont souvent décrétés par les créateurs. En tant que détenteur d’un altcoin, vous devez non seulement faire confiance au leader en place, mais vous devez également prier pour que les prochains leaders du coin ne confisquent pas vos actifs, ne les taxent pas ou ne décident pas d’accroître l’offre de coins en circulation.
En d’autres termes, les altcoins et les ICOs ne sont pas si éloignés des monnaies fiduciaires. Dans un monde d’altcoins et d’ICOs, vous n’êtes plus souverain sur vos propres coins !
Ceci est particulièrement vrai pour le principal « concurrent » du Bitcoin : Ethereum. Quelle que soit l’approche que l’on décide de prendre, Ethereum est contrôlé par une entité centrale. Ethereum a provoqué au moins 5 hard forks, qui se sont imposés à ses utilisateurs. Ils ont décidé de compenser une mauvaise prise de décision liée à TheDAO. Ils évoquent même désormais l’idée d’une nouvelle « taxe de stockage ».
Ce contrôle centralisé était d’ailleurs apparent dès les débuts d’Ethereum, avec un premine conséquent.
Le Bitcoin est différent. L’une des meilleures choses que Satoshi ait pu faire, c’est de disparaître. Dans les premiers mois du Bitcoin, Satoshi contrôlait de très près tout ce qui était développé. En disparaissant, il nous a permis de nous retrouver dans une situation dans laquelle les différents participants qui sont en désaccord ont la possibilité d’indiquer la direction qu’ils aimeraient que le réseau prenne. Chaque mise à jour (des « soft forks ») est volontaire, et celles-ci ne forcent personne à faire quoi que ce soit pour pouvoir conserver ses BTCs.
En d’autres termes : il n’y a aucun point unique de défaillance.
Le Bitcoin s’appuie sur un système dans lequel, même si un groupe entier de développeurs étaient renversés par un autobus, il existerait toujours de nombreuses implémentations open-source qui permettraient d’offrir des choix alternatifs aux utilisateurs. Avec le Bitcoin, vous êtes souverain(e) sur vos propres BTCs.
Il s’agit d’une très bonne chose, dans la mesure où aucune autorité centrale n’a le pouvoir d’éroder l’utilité de vos coins. Par conséquent, le Bitcoin est réellement rare (et non pas théoriquement ou temporairement rare), ses qualités ne seront pas modifiées sans un accord de la communauté, et il s’agit donc d’une excellente réserve de valeur.
Conclusion
Vous vous demandez peut-être : mais pourquoi les altcoins sont ils si nombreux, et pourquoi parviennent-t-ils à dépasser collectivement la market cap du Bitcoin ? Tout d’abord, la market cap est une donnée fortement manipulée. Ensuite, les marchés comportent, par leur nature, une grande quantité de « bruits » : ils ne se lissent qu’après une longue période de temps.
Du fait de l’effet de réseau et de la décentralisation, le Bitcoin est différent de l’ensemble des autres prétendants à son trône. Il ne s’agit pas de dire que rien ne pourra jamais venir remplacer le Bitcoin. Une telle déclaration serait bien trop générale et bien trop optimiste vis-à-vis de ses chances de succès.
Ce qui semble clair si l’on étudie l’histoire des crypto-marchés, c’est que le Bitcoin les a toujours dominés, et qu’il ne renoncera pas à sa première place si facilement. Et l’ajout d’une nouvelle « fonctionnalité », qui serait susceptible de compromettre l’effet de réseau et la décentralisation, ne constituerait pas une initiative pertinente.
Que faudrait-il pour qu’un actif parvienne à remplacer le Bitcoin ? Il semblerait qu’il faudrait qu’émerge une innovation au moins aussi importante que ne l’a été le BTC lui-même, ou que l’on constate un bug qui viendrait compromettre la sécurité du Bitcoin. Mais si un coin souhaite le rattraper, le fait de modifier quelques variables ne sera pas suffisant. Même l’ajout d’une fonctionnalité importante (comme par exemple l’anonymat) ne me semble pas suffisante, dans la mesure où l’effet de réseau a déjà permis de créer un écosystème spécifique au Bitcoin.
Par ailleurs, la décentralisation n’est pas simple à atteindre, et les altcoins n’ont pas encore trouvé les méthodes qui pourraient leur permettre de prendre une telle direction. Et la simple idée de vouloir chercher à prendre cette direction suggère qu’il s’agit de coins centralisés ! Il est difficile d’imaginer les créateurs d’un coin de valeur vouloir décentraliser celui-ci, dans la mesure où ils disposent d’une incitation émotionnelle, économique et sociale à conserver un certain contrôle sur leur création.
Le Bitcoin est différent : contrairement aux altcoins, le Bitcoin a créé une nouvelle catégorie, et peut jouir par conséquent d’un effet de réseau. Le Bitcoin continuera à être différent des autres : contrairement aux coins centralisés, il est porté par le marché, il est immuable et insaisissable. Il s’agit d’ailleurs des caractéristiques d’une excellente réserve de valeur, et ceci confère au Bitcoin une utilité qu’aucun autre token ne peut revendiquer.
En tant qu’investisseurs haussiers, il est tentant de croire que nous avons trouvé un altcoin ou une ICO qui pourra faire mieux que le Bitcoin, et qui pourra faire de nous des « early adopters » de cette révolution. Malheureusement, de tels vœux pieux n’auront aucun effet sur les caractéristiques aussi fondamentales que sont l’effet de réseau ou la décentralisation. Sur les 7 dernières années, des milliers de coins ont échoué à répliquer ces caractéristiques – des caractéristiques qui expliquent pourquoi le Bitcoin est le seul à constituer une véritable révolution.
- À lire également : « Le Bitcoin est-il une monnaie ? »
Cet article ne constitue pas une recommandation d’investissement. Nous vous suggérons de mener vos propres recherches avant de décider de vous procurer des crypto-monnaies – des actifs extrêmement risqués. Ne dépensez pas plus que ce que vous pouvez vous permettre de perdre. Nous ne saurons être tenus responsables de toute perte en capital, en lien avec la lecture de cet article.
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