« Une bulle spéculative »
Sharmin Mossavar-Rahmani est la Chief Information Officer de la gestion de patrimoine privé chez Goldman Sachs – et elle gère à ce titre des millions de dollars d’investissement en monnaies fiduciaires.
Selon la retranscription d’un entretien qu’elle a accordé cette semaine à Business Insider, les clients de son département montreraient un vif intérêt pour les crypto-monnaies, et auraient fait part à l’institution financière de leur désir d’obtenir des informations complémentaires à leur sujet. Ils s’intéressaient également à la technologie blockchain sur laquelle elles s’appuient.
Mais si Goldman Sachs reconnaît le potentiel de cette technologie, la banque d’investissement est, sans surprise, peu enthousiaste vis-à-vis des monnaies numériques décentralisées.
« Nous apprécions le concept de la blockchain, et nous pensons qu’il va prochainement devenir un outil précieux pour les sociétés, pour le secteur financier. Nous estimons toutefois que les crypto-monnaies, dans leur format actuel – c’est à dire dans leur incarnation actuelle – se situent dans une bulle spéculative ».
La dirigeante a ensuite comparé les crypto-marchés aux bulles spéculatives qui ont émaillé l’histoire de la finance, comme celle du TOPIX (Tokyo stock Price IndeX) en 1990, du Nasdaq en 2000, ou encore de la tulipomanie du 17ème siècle – en expliquant que le Bitcoin était actuellement surévalué. Elle a ajouté que la hausse de l’Ether, la monnaie native du réseau Ethereum, était « encore plus astronomique ».
Mme Mossavar-Rahmani a ensuite évoqué l’impact que pourrait susciter un éclatement de ce qu’elle perçoit comme une bulle spéculative. Elle estime que celui-ci ne provoquerait pas une crise financière globale, dans la mesure où les crypto-monnaies ne représentent actuellement qu’une part limitée de l’économie mondiale.
« Les crypto-monnaies représentent une part bien plus restreinte de l’économie mondiale. Si vous les comparez au PIB américain ou au PIB mondial, elles ne constituent que moins de 1% du PIB mondial »
Lors de la rédaction de cet article, la valorisation de l’ensemble des crypto-monnaies s’élevait à 462 milliards de dollars – une somme relativement faible si on la compare à la valorisation de l’ensemble des réserves d’or, d’environ 8000 milliards de dollars, ou à celle de l’éclatement de la bulle internet en 2000, qui aurait fait perdre en l’espace de deux ans 6200 milliards de dollars aux épargnants.
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Des actifs perçus comme une menace
Il peut être également intéressant de noter que les crypto-monnaies ne représentent encore qu’une technologie naissante. Elles pourraient toutefois, d’ici quelques années, bouleverser profondément nos sociétés modernes – et tout particulièrement le secteur financier.
Pas étonnant donc que l’ensemble des grandes institutions financières fassent part de leurs réserves vis-à-vis de ces actifs, qui ne peuvent être contrôlés, et qui pourraient permettre aux épargnants de se passer de leurs services.
Et l’on peut penser que les commentaires de Mme Mossavar-Rahmani suivent cette idée :
« Y a‑t-il la place pour une monnaie numérique, qui pourrait être soutenue par l’une des principales banques centrales, comme la Réserve Fédérale ? Oui. Pourrait-elle être incroyablement utile ? Pourrait-elle permettre de réduire les coûts de transaction ? Oui. Mais pas l’une de celles qui existent aujourd’hui ».
La dirigeante fait ainsi sans doute référence aux monnaies décentralisées, qui ne peuvent être contrôlées par les autorités bancaires et gouvernementales. Si elle milite pour la création d’une monnaie numérique soutenue par la banque centrale, on peut s’interroger sur l’intérêt d’un tel actif, qui ne constituerait sans doute qu’une « copie numérique » d’une monnaie fiduciaire.
Cette déclaration donnera du grain à moudre à ceux qui estiment qu’une large majorité des institutions financières, qu’elles soient publiques ou privées, perçoivent ces actifs comme une menace. Et c’est sans doute le cas de Goldman Sachs, qui a récemment partagé ses craintes à travers une note envoyée à la Securities and Exchange Commission, le gendarme de la bourse américaine. La banque d’investissement indiquait qu’elle « pourrait être, ou pourrait devenir, exposée aux risques liés à la technologie des registres distribués ».
Et Goldman Sachs n’est pas la seule banque à s’inquiéter de l’engouement suscité par les actifs numériques. Il y a quelques jours, Bank of America avait reconnu que les crypto-monnaies constituaient une menace pour ses activités, et qu’elles pourraient la contraindre à effectuer « des dépenses substantielles ».
Les craintes nourries par ces institutions financières sont sans doute justifiées. L’émergence des crypto-monnaies pourraient prochainement remettre en cause leur modèle, alors que de nombreux individus se verront bientôt offrir la possibilité d’emprunter, de prêter et d’investir de l’argent de manière simple grâce à des réseaux décentralisés plus compétitifs.
Si le caractère exponentiel de la hausse du prix des crypto-monnaies est indéniable, et que la « Market Cap » adossée à cet écosystème reste encore en grande partie basée sur des projections à long terme, on peut penser qu’une telle valorisation ne serait pas excessive si une poignée de ces actifs parvenaient à réussir leur mission, et à bouleverser nos économies. Une réussite qui ne serait très certainement pas du goût des grandes institutions financières, qui devraient continuer de chercher à jeter le discrédit sur cet écosystème.
Références : CCN, Cryptona