Bitcoin Démocratisation

Les crypto-monnaies en 2017 : une situation identique à celle de l’internet de 1994 ?

Ceci est la tra­duc­tion libre d’un essai publié sur le site Forbes.com, qui nous a sem­blé par­ti­cu­liè­re­ment inté­res­sant. Il per­met de remettre en pers­pec­tive l’u­ni­vers des cryp­to-mon­naies, et montre que nous n’en sommes qu’aux pré­mices de ce que peut appor­ter la tech­no­lo­gie blockchain.

Il a été rédi­gé par Ari Paul, CIO de Block­To­wer Capi­tal, avec l’aide de Kunyi Li, ana­lyste chez Block­To­wer, et de Ian D’Sou­za, pro­fes­seur à la Stern School of Busi­ness et conseiller pour de Block­To­wer. Notez que nous y avons ajou­té quelques com­men­taires, sans les dis­tin­guer du texte ori­gi­nel. N’hé­si­tez pas à y accé­der en cli­quant sur ce lien.

La capi­ta­li­sa­tion totale des cryp­to-mon­naies est pas­sée de 18 mil­liards de dol­lars au début de l’an­née à plus de 300 mil­liards de dol­lars aujourd’­hui. Les déten­teurs de Bit­coins peuvent par­fois avoir l’im­pres­sion que tout le monde parle de mon­naies numé­riques – alors que moins d’1% de la popu­la­tion mon­diale en possède.

L’é­co­sys­tème actuel des cryp­to-mon­naies res­semble à s’y méprendre au « tech boom » de 1994.

Adoption internet vs crypto-monnaies

Bitcoin et Email

Ray TomlinsonL’e-mail tel que nous le connais­sons aujourd’­hui fut inven­té en 1972 par un cer­tain Ray Tom­lin­son. L’e-mail fut la pre­mière, et, pen­dant long­temps, la seule, « killer appli­ca­tion » de l’internet.

Le réseau Bit­coin a été lan­cé en jan­vier 2009 : c’é­tait à la fois la pre­mière cryp­to-mon­naie décen­tra­li­sée (après des ten­ta­tives cen­tra­li­sées comme b‑money ou bit gold) et la pre­mière blo­ck­chain. Le Bit­coin, en tant qu’argent « trust­less » (autre­ment dit, sans q’un tiers de confiance ne soit néces­saire) et « cen­sor­ship-resis­tant » (impos­sible à inter­dire), fut éga­le­ment la seul « killer appli­ca­tion » blo­ck­chain pen­dant plu­sieurs années.

Pen­dant 15 ans, l’e-mail a été un outil prin­ci­pa­le­ment uti­li­sé par des ingé­nieurs et quelques cher­cheurs. Il fal­lut attendre la fin des années 1980 avant que l’e-mail ne soit uti­li­sé dans le monde des entre­prises, et le milieu des années 1990 pour qu’il com­mence à se démo­cra­ti­ser auprès du grand public.

Mais com­ment peut s’o­pé­rer une telle tran­si­tion ? Pour que l’e-mail puisse pas­ser du groupe des « pas­sion­nés » au monde des entre­prises, puis à celui du grand public, trois fac­teurs ont été néces­saires :

  • Tout d’a­bord, il fal­lait que la tech­no­lo­gie soit suf­fi­sam­ment déve­lop­pée pour qu’elle puisse être stan­dar­di­sée, stable et qu’elle soit en mesure d’of­frir un panel de fonc­tion­na­li­tés aux utilisateurs.
  • Ensuite, les inter­faces uti­li­sa­teurs devaient être suf­fi­sam­ment per­fec­tion­nées pour rendre pos­sible l’ac­cès à l’e-mail par des popu­la­tions au pro­fil non technique
  • Enfin, la base d’u­ti­li­sa­teurs devait deve­nir suf­fi­sam­ment impor­tante pour pro­fi­ter d’un effet réseau.
    En effet, comme lors de l’ar­ri­vée du télé­phone filaire, l’e-mail n’a de sens que si d’autres per­sonnes l’u­ti­lisent déjà. Plus le nombre de per­sonnes dis­po­sant d’une adresse e‑mail est impor­tant, plus les autres sont inci­tées à en obte­nir une. Mais ce cercle ver­tueux (qui cor­res­pond à la loi de Met­calfe, dont nous vous par­lions dans cet article) prend du temps.

De manière simi­laire, le Bit­coin n’in­té­res­sait prin­ci­pa­le­ment, au cours de ses pre­mières années, que les pro­fils tech­niques. Les res­sources dis­po­nibles sur Inter­net étaient alors limi­tées, et il n’exis­tait pas de moyen simple de se pro­cu­rer des Bitcoins.

En 2013, on a pu assis­ter à ce qui sem­blait cor­res­pondre à un début d’a­dop­tion, avec l’ar­ri­vée de socié­tés comme Coin­base (qui a véri­ta­ble­ment été lan­cée en octobre 2012), qui per­met­tait de rendre le Bit­coin acces­sible à des uti­li­sa­teurs au pro­fil non tech­nique. Mais l’as­cen­sion du Bit­coin était encore limi­tée par des pro­blé­ma­tiques tech­niques (comme un hard fork non-inten­tion­nel), par un manque d’in­ter­faces uti­li­sa­teurs simples, et des effets réseau minimes.

Un début d’adoption pour les crypto-monnaies

En 2017, la situa­tion a consi­dé­ra­ble­ment évo­lué.

Le Bit­coin s’ap­puie sur un pro­to­cole stable et éprou­vé (il n’a jamais pu être pira­té) et il existe désor­mais de nom­breuses inter­faces simples d’u­ti­li­sa­tion (avec notam­ment des dis­tri­bu­teurs de Bit­coins dans la plu­part des grandes villes). Il dis­pose par ailleurs d’une base d’u­ti­li­sa­teurs deve­nue suf­fi­sam­ment impor­tante pour que les BTC puissent désor­mais être ache­tés, échan­gés et dépen­sés dans la qua­si-tota­li­té des pays du monde.

S’il est impos­sible de connaître le nombre exact de per­sonnes qui détiennent des BTC, du fait de la nature décen­tra­li­sée du réseau et du « pseu­do­ny­mat » des por­te­feuilles, on peut par­fai­te­ment ten­ter d’es­ti­mer ce chiffre.

En recou­pant les don­nées four­nies par Coin­base avec les tra­vaux des cher­cheurs Gar­rick Hile­man et Michel Rauchs, il est pos­sible d’es­ti­mer le nombre d’u­ti­li­sa­teurs et de déten­teurs de Bit­coin à envi­ron 45 mil­lions de per­sonnes, soit entre 0,5 et 1% de la popu­la­tion mon­diale.

Ceci nous place aux tout débuts d’une adop­tion par par les popu­la­tions au pro­fil non tech­nique.

Comme l’e-mail en 1994, le Bit­coin offre aujourd’­hui cer­tains avan­tages aux popu­la­tions qui y ont recours. Il per­met, de manière consis­tante et sécu­ri­sée, de trans­mettre de la valeur moné­taire à tra­vers le globe, et per­met de jouir d’une réserve de valeur qui peut résis­ter contre la cen­sure. Grâce à son offre limi­tée, il per­met de se pré­mu­nir contre des poli­tiques moné­taires infla­tion­nistes (comme c’est le cas au Zim­babwe).

Comme l’e-mail en 1994, le Bit­coin s’ap­puie sur une tech­no­lo­gie robuste, prête pour un usage géné­ra­li­sé – mais il n’en n’est qu’aux débuts de sa courbe d’adoption.

Courbe adoption produit

Nous pour­rions ain­si nous situer, depuis quelques mois, aux débuts de la période « pre­miers adeptes » repré­sen­tée sur ce graphique.

Et comme l’e-mail en 1994, la faible pro­por­tion de déten­teurs de Bit­coins signi­fie que son usage est encore res­treint, ce qui amène de nom­breux obser­va­teurs à remettre en ques­tion son uti­li­té.

Mais qu’en est-il des autres cryp­to-mon­naies et de leurs cas d’usage ?

Les crypto-monnaies et les sites web

La pre­mier site web public fut mis en ligne en 1991. Le pre­mier navi­ga­teur web com­mer­cial fut pro­po­sé en 1993 – il per­met­tait d’ac­cé­der aux 130 sites qui exis­taient alors.

En 1994, il en exis­tait 20 fois plus, soit 2738 sites web.

Par­mi ces sites, on pou­vait retrou­ver des pages d’en­tre­prises, des sites d’ac­tua­li­tés, des blogs per­son­nels, de la por­no­gra­phie, des ency­clo­pé­dies en ligne, ain­si que les pre­miers sites e‑commerce.

Netscape Navigator 1994

Les pre­miers sites web cor­res­pon­daient prin­ci­pa­le­ment à des ver­sions élec­tro­niques d’éléments que l’on pou­vait retrou­ver dans « le monde réel », comme des journaux.

Ce qui est notable, c’est ce qui man­quait en 1994. Une caté­go­rie qui n’a­vait pas encore été ima­gi­née : celle des réseaux sociaux.

Lin­ke­din, Red­dit, Face­book ou Ins­ta­gram n’a­vaient pas de pen­dant en 1994. Alors qu’il est pos­sible de relier l’En­cy­clopæ­dia Bri­tan­ni­ca à Wiki­pe­dia, ou MTV.com à You­tube, ces sites com­por­tant exclu­si­ve­ment des conte­nus créés par leurs uti­li­sa­teurs cor­res­pond à une toute nou­velle caté­go­rie.

Comme pour l’in­ter­net de 1994, de nom­breux cas d’u­sage pour les cryp­to-mon­naies existent déjà sous une forme « nais­sante », mais il est encore « trop tôt ». C’est la rai­son pour laquelle la majo­ri­té des e‑commerçants de 1994 ont échoué : l’a­dop­tion d’in­ter­net n’é­tait pas encore suf­fi­sante pour accom­pa­gner leur suc­cès. Et cer­tains obser­va­teurs pou­vaient conclure, de manière hâtive, que le e‑commerce n’a­vait aucun avenir.

En 1994, il y avait trop peu d’in­ter­nautes, trop peu de confiance dans les paie­ments en ligne, et trop peu d’in­fra­struc­tures solide pour per­mettre aux e‑marchands de se développer.

pourcentage population accès internet

Et il aurait été ain­si impos­sible de réus­sir avec un You­Tube, puisque l’im­mense majo­ri­té des inter­nautes ne dis­po­saient alors que de modems analogiques.

De nom­breux pro­jets liés aux cryp­to-mon­naie ou à la tech­no­lo­gie blo­ck­chain ren­contrent des dif­fi­cul­tés pour des rai­sons simi­laires. Il existe encore trop peu de per­sonnes prêtes à uti­li­ser des cryp­to-mon­naies nais­santes, il y a encore trop peu de confiance dans la tech­no­lo­gie blo­ck­chain de la part du grand public, et l’é­co­sys­tème n’est pas suf­fi­sam­ment déve­lop­pé pour accom­pa­gner leur démocratisation.

Par ailleurs, tout comme en 1994, la plu­part des cas d’u­sage qui seront déve­lop­pés dans les années à venir n’ont pro­ba­ble­ment pas encore été ima­gi­nés.

De nombreux sites internet de 1994 ont vu juste… mais il étaient trop en avance sur leur temps

Depuis leur nais­sance en 2009, l’é­co­sys­tème des cryp­to-mon­naies semble être deve­nu bien plus mature. La tech­no­lo­gie est deve­nue plus effi­ciente (de nom­breuses cryp­to-mon­naies sont plus per­for­mantes que le Bit­coin), les inter­faces uti­li­sa­teurs rendent la tech­no­lo­gie pro­gres­si­ve­ment acces­sible aux débu­tants, et les effets réseau conti­nue de s’ac­croître, tout comme la base d’u­ti­li­sa­teurs et la liqui­di­té des mar­chés.

Et pour­tant, l’a­dop­tion glo­bale reste anec­do­tique, avec moins d’1% de la popu­la­tion qui les uti­lisent. La valeur totale des cryp­to-mon­naies est à peine supé­rieure à la moi­tié de la capi­ta­li­sa­tion de Face­book, et est égale à 1/26ème de la valeur totale de l’en­semble de l’or dis­po­nible dans le monde.

Où est-ce que cela nous situe, en tant qu’investisseurs ?

En 1994, et à moins de s’in­té­res­ser à une petite socié­té nom­mée Ama­zon, il n’é­tait pas oppor­tun d’in­ves­tir dans l’in­ter­net. La majo­ri­té des pre­mières socié­tés de vente en ligne ont rapi­de­ment mis la clé sous la porte. Ces pro­jets, au demeu­rant très ambi­tieux, étaient arri­vés « trop tôt », de telle sorte que la plu­part des lea­ders de l’in­ter­net d’au­jourd’­hui n’é­taient pas encore nés.

Vous auriez pu avoir envie d’in­ves­tir dans des réseaux sociaux – mais il aurait fal­lu attendre 10 ans avec un véri­table réseau social n’émerge.

Les inves­tis­seurs en cryp­to-mon­naies semblent être confron­tés aux mêmes pro­blèmes.

Il est impos­sible de pré­dire l’a­ve­nir, et per­sonne ne peut devi­ner le visage qu’ar­bo­re­ra l’écosystème des cryp­to-mon­naies et de la tech­no­lo­gie blo­ck­chain dans une dizaine d’an­nées. Mais une chose est très pro­bable : ces inno­va­tions semblent être par­ties pour durer.

Réfé­rence : Forbes.com, Les cahiers de l’innovation

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6 années il y a

Effec­ti­ve­ment c’est très clair ! Bon article. Cela va aller très vite, sur­ement et pour demain l’ex­plo­sion des e‑commerces décen­tra­li­sés en ligne, pour exemple.
Nous avons déjà une expé­rience avec Open­Ba­zaar 2.0, paie­ment en Bit­coins et altcoins …

Eh oui, nous sommes les pre­miers adeptes, les pion­niers, c’est par­fai­te­ment exact.

Enfin de mon avis il semble bien que nous allons vers une vie en immer­sion totale dans ce que l’on nomme « le vir­tuel », du moins en grande par­tie peut-être… Cer­tains phy­si­ciens pensent que nous y sommes depuis tou­jours d’ailleurs, alors ce serait dans notre nature, « le virtuel ».

Julie
5 années il y a

Mer­ci pour cet article vrai­ment com­plet et détaillé et je trouve que la com­pa­rai­son entre la bulle inter­net de 1994 et celle du bit­coin actuel­le­ment est très inté­res­sante. Effec­ti­ve­ment, pour l’ins­tant le manque de confiance en cette tech­no­lo­gie bloque son avan­cée et son arri­vée dans notre quo­ti­dien. Il faut espé­rer que nous ne pas­sions pas à côté et que l’a­ve­nir nous per­mette d’a­dop­ter le sys­tème de la blo­ck­chain à tous les niveaux.

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