Ceci est la traduction libre d’un essai publié sur le site Forbes.com, qui nous a semblé particulièrement intéressant. Il permet de remettre en perspective l’univers des crypto-monnaies, et montre que nous n’en sommes qu’aux prémices de ce que peut apporter la technologie blockchain.
Il a été rédigé par Ari Paul, CIO de BlockTower Capital, avec l’aide de Kunyi Li, analyste chez BlockTower, et de Ian D’Souza, professeur à la Stern School of Business et conseiller pour de BlockTower. Notez que nous y avons ajouté quelques commentaires, sans les distinguer du texte originel. N’hésitez pas à y accéder en cliquant sur ce lien.
La capitalisation totale des crypto-monnaies est passée de 18 milliards de dollars au début de l’année à plus de 300 milliards de dollars aujourd’hui. Les détenteurs de Bitcoins peuvent parfois avoir l’impression que tout le monde parle de monnaies numériques – alors que moins d’1% de la population mondiale en possède.
L’écosystème actuel des crypto-monnaies ressemble à s’y méprendre au « tech boom » de 1994.
Bitcoin et Email
L’e-mail tel que nous le connaissons aujourd’hui fut inventé en 1972 par un certain Ray Tomlinson. L’e-mail fut la première, et, pendant longtemps, la seule, « killer application » de l’internet.
Le réseau Bitcoin a été lancé en janvier 2009 : c’était à la fois la première crypto-monnaie décentralisée (après des tentatives centralisées comme b‑money ou bit gold) et la première blockchain. Le Bitcoin, en tant qu’argent « trustless » (autrement dit, sans q’un tiers de confiance ne soit nécessaire) et « censorship-resistant » (impossible à interdire), fut également la seul « killer application » blockchain pendant plusieurs années.
Pendant 15 ans, l’e-mail a été un outil principalement utilisé par des ingénieurs et quelques chercheurs. Il fallut attendre la fin des années 1980 avant que l’e-mail ne soit utilisé dans le monde des entreprises, et le milieu des années 1990 pour qu’il commence à se démocratiser auprès du grand public.
Mais comment peut s’opérer une telle transition ? Pour que l’e-mail puisse passer du groupe des « passionnés » au monde des entreprises, puis à celui du grand public, trois facteurs ont été nécessaires :
- Tout d’abord, il fallait que la technologie soit suffisamment développée pour qu’elle puisse être standardisée, stable et qu’elle soit en mesure d’offrir un panel de fonctionnalités aux utilisateurs.
- Ensuite, les interfaces utilisateurs devaient être suffisamment perfectionnées pour rendre possible l’accès à l’e-mail par des populations au profil non technique
- Enfin, la base d’utilisateurs devait devenir suffisamment importante pour profiter d’un effet réseau.
En effet, comme lors de l’arrivée du téléphone filaire, l’e-mail n’a de sens que si d’autres personnes l’utilisent déjà. Plus le nombre de personnes disposant d’une adresse e‑mail est important, plus les autres sont incitées à en obtenir une. Mais ce cercle vertueux (qui correspond à la loi de Metcalfe, dont nous vous parlions dans cet article) prend du temps.
De manière similaire, le Bitcoin n’intéressait principalement, au cours de ses premières années, que les profils techniques. Les ressources disponibles sur Internet étaient alors limitées, et il n’existait pas de moyen simple de se procurer des Bitcoins.
En 2013, on a pu assister à ce qui semblait correspondre à un début d’adoption, avec l’arrivée de sociétés comme Coinbase (qui a véritablement été lancée en octobre 2012), qui permettait de rendre le Bitcoin accessible à des utilisateurs au profil non technique. Mais l’ascension du Bitcoin était encore limitée par des problématiques techniques (comme un hard fork non-intentionnel), par un manque d’interfaces utilisateurs simples, et des effets réseau minimes.
Un début d’adoption pour les crypto-monnaies
En 2017, la situation a considérablement évolué.
Le Bitcoin s’appuie sur un protocole stable et éprouvé (il n’a jamais pu être piraté) et il existe désormais de nombreuses interfaces simples d’utilisation (avec notamment des distributeurs de Bitcoins dans la plupart des grandes villes). Il dispose par ailleurs d’une base d’utilisateurs devenue suffisamment importante pour que les BTC puissent désormais être achetés, échangés et dépensés dans la quasi-totalité des pays du monde.
S’il est impossible de connaître le nombre exact de personnes qui détiennent des BTC, du fait de la nature décentralisée du réseau et du « pseudonymat » des portefeuilles, on peut parfaitement tenter d’estimer ce chiffre.
En recoupant les données fournies par Coinbase avec les travaux des chercheurs Garrick Hileman et Michel Rauchs, il est possible d’estimer le nombre d’utilisateurs et de détenteurs de Bitcoin à environ 45 millions de personnes, soit entre 0,5 et 1% de la population mondiale.
Ceci nous place aux tout débuts d’une adoption par par les populations au profil non technique.
Comme l’e-mail en 1994, le Bitcoin offre aujourd’hui certains avantages aux populations qui y ont recours. Il permet, de manière consistante et sécurisée, de transmettre de la valeur monétaire à travers le globe, et permet de jouir d’une réserve de valeur qui peut résister contre la censure. Grâce à son offre limitée, il permet de se prémunir contre des politiques monétaires inflationnistes (comme c’est le cas au Zimbabwe).
Comme l’e-mail en 1994, le Bitcoin s’appuie sur une technologie robuste, prête pour un usage généralisé – mais il n’en n’est qu’aux débuts de sa courbe d’adoption.
Nous pourrions ainsi nous situer, depuis quelques mois, aux débuts de la période « premiers adeptes » représentée sur ce graphique.
Et comme l’e-mail en 1994, la faible proportion de détenteurs de Bitcoins signifie que son usage est encore restreint, ce qui amène de nombreux observateurs à remettre en question son utilité.
Mais qu’en est-il des autres crypto-monnaies et de leurs cas d’usage ?
Les crypto-monnaies et les sites web
La premier site web public fut mis en ligne en 1991. Le premier navigateur web commercial fut proposé en 1993 – il permettait d’accéder aux 130 sites qui existaient alors.
En 1994, il en existait 20 fois plus, soit 2738 sites web.
Parmi ces sites, on pouvait retrouver des pages d’entreprises, des sites d’actualités, des blogs personnels, de la pornographie, des encyclopédies en ligne, ainsi que les premiers sites e‑commerce.
Les premiers sites web correspondaient principalement à des versions électroniques d’éléments que l’on pouvait retrouver dans « le monde réel », comme des journaux.
Ce qui est notable, c’est ce qui manquait en 1994. Une catégorie qui n’avait pas encore été imaginée : celle des réseaux sociaux.
Linkedin, Reddit, Facebook ou Instagram n’avaient pas de pendant en 1994. Alors qu’il est possible de relier l’Encyclopædia Britannica à Wikipedia, ou MTV.com à Youtube, ces sites comportant exclusivement des contenus créés par leurs utilisateurs correspond à une toute nouvelle catégorie.
Comme pour l’internet de 1994, de nombreux cas d’usage pour les crypto-monnaies existent déjà sous une forme « naissante », mais il est encore « trop tôt ». C’est la raison pour laquelle la majorité des e‑commerçants de 1994 ont échoué : l’adoption d’internet n’était pas encore suffisante pour accompagner leur succès. Et certains observateurs pouvaient conclure, de manière hâtive, que le e‑commerce n’avait aucun avenir.
En 1994, il y avait trop peu d’internautes, trop peu de confiance dans les paiements en ligne, et trop peu d’infrastructures solide pour permettre aux e‑marchands de se développer.
Et il aurait été ainsi impossible de réussir avec un YouTube, puisque l’immense majorité des internautes ne disposaient alors que de modems analogiques.
De nombreux projets liés aux crypto-monnaie ou à la technologie blockchain rencontrent des difficultés pour des raisons similaires. Il existe encore trop peu de personnes prêtes à utiliser des crypto-monnaies naissantes, il y a encore trop peu de confiance dans la technologie blockchain de la part du grand public, et l’écosystème n’est pas suffisamment développé pour accompagner leur démocratisation.
Par ailleurs, tout comme en 1994, la plupart des cas d’usage qui seront développés dans les années à venir n’ont probablement pas encore été imaginés.
De nombreux sites internet de 1994 ont vu juste… mais il étaient trop en avance sur leur temps
Depuis leur naissance en 2009, l’écosystème des crypto-monnaies semble être devenu bien plus mature. La technologie est devenue plus efficiente (de nombreuses crypto-monnaies sont plus performantes que le Bitcoin), les interfaces utilisateurs rendent la technologie progressivement accessible aux débutants, et les effets réseau continue de s’accroître, tout comme la base d’utilisateurs et la liquidité des marchés.
Et pourtant, l’adoption globale reste anecdotique, avec moins d’1% de la population qui les utilisent. La valeur totale des crypto-monnaies est à peine supérieure à la moitié de la capitalisation de Facebook, et est égale à 1/26ème de la valeur totale de l’ensemble de l’or disponible dans le monde.
Où est-ce que cela nous situe, en tant qu’investisseurs ?
En 1994, et à moins de s’intéresser à une petite société nommée Amazon, il n’était pas opportun d’investir dans l’internet. La majorité des premières sociétés de vente en ligne ont rapidement mis la clé sous la porte. Ces projets, au demeurant très ambitieux, étaient arrivés « trop tôt », de telle sorte que la plupart des leaders de l’internet d’aujourd’hui n’étaient pas encore nés.
Vous auriez pu avoir envie d’investir dans des réseaux sociaux – mais il aurait fallu attendre 10 ans avec un véritable réseau social n’émerge.
Les investisseurs en crypto-monnaies semblent être confrontés aux mêmes problèmes.
Il est impossible de prédire l’avenir, et personne ne peut deviner le visage qu’arborera l’écosystème des crypto-monnaies et de la technologie blockchain dans une dizaine d’années. Mais une chose est très probable : ces innovations semblent être parties pour durer.
Référence : Forbes.com, Les cahiers de l’innovation
Effectivement c’est très clair ! Bon article. Cela va aller très vite, surement et pour demain l’explosion des e‑commerces décentralisés en ligne, pour exemple.
Nous avons déjà une expérience avec OpenBazaar 2.0, paiement en Bitcoins et altcoins …
Eh oui, nous sommes les premiers adeptes, les pionniers, c’est parfaitement exact.
Enfin de mon avis il semble bien que nous allons vers une vie en immersion totale dans ce que l’on nomme « le virtuel », du moins en grande partie peut-être… Certains physiciens pensent que nous y sommes depuis toujours d’ailleurs, alors ce serait dans notre nature, « le virtuel ».
Merci pour cet article vraiment complet et détaillé et je trouve que la comparaison entre la bulle internet de 1994 et celle du bitcoin actuellement est très intéressante. Effectivement, pour l’instant le manque de confiance en cette technologie bloque son avancée et son arrivée dans notre quotidien. Il faut espérer que nous ne passions pas à côté et que l’avenir nous permette d’adopter le système de la blockchain à tous les niveaux.