Environ le tiers des clients qui font la queue devant le bureau de change La Maison Du Bitcoin à Paris ne s’y rendent pas pour procéder à un investissement, en spéculant sur une hausse de la crypto-monnaie dans les mois et les années à venir.
« Dans de nombreux pays en Afrique, il y a beaucoup plus de téléphones portables que de comptes bancaires, » a expliqué Manuel Valente, co-fondateur de la société. « Pour le Bitcoin, vous n’avez besoin que d’un simple téléphone. »
Le Zimbabwe, où le prix du Bitcoin a grimpé jusqu’à 13 500 dollars suite au coup d’État militaire auquel on pu assister les citoyens, permet de montrer à certains sceptiques comme Jamie Dimon ou Axel Weber qu’il existe des cas d’usage concrets pour le Bitcoin.
La monnaie numérique est en train de devenir le moyen privilégié pour les zimbabwéens d’envoyer de l’argent sans avoir à passer par les banques, de protéger leur patrimoine des troubles politiques, et de se prémunir face à l’hyperinflation que connait la monnaie nationale.
Du fait de la nature du Bitcoin, il n’est pas possible de quantifier l’ampleur de ce phénomène, qui voit de l’argent numérique passer des pays industrialisés vers les pays en voie de développement. En effet, cette crypto-monnaie décentralisée permet d’envoyer de l’argent de manière « pseudonyme » – si les transferts vers et depuis un portefeuille sont publics, il est impossible de relier celui-ci à son détenteur.
Le Bitcoin permet de pallier aux carences des gouvernements et des banques centrales, en pouvant faire office de réserve de valeur dans lequel les gens ont confiance, et ce en dépit d’une forte volatilité.
Un havre de paix
« Le Bitcoin constitue un havre de paix pour les citoyens du monde qui n’ont plus confiance dans leur gouvernement, » a expliqué Andrew Milne, CEO et co-fondateur d’Altana Digital Currency Fund, un fonds d’investissement de 22 millions de dollars composé de crypto-monnaies. « Il existe de nombreux pays dans lesquels les gens sont à la recherche d’actifs qui ne soient pas vulnérables aux potentielles faillites bancaires. »
Le Zimbabwe avait abandonné sa propre monnaie après qu’une hyperinflation ait conduit le pays à imprimer des billets de 100 trillions de dollars zimbabwéens, qui ne valaient qu’approximativement l’équivalent de 5 dollars américains.
Le pays utilise le dollar américain, le rand sud-africain et désormais, des crypto-monnaies.
Pour Alex Tapscott, CEO d’une société d’investissement spécialisée dans les activités liées à la technologie Blockchain, NextBlock Global Ltd, le fait d’essayer de contrôler le Bitcoin reviendrait à « tenter d’attraper de l’eau. »
De nombreuses figures de la finance se sont montrées sceptiques vis-à-vis du Bitcoin
Les dirigeants des trois plus grandes banques au monde ont exprimé leurs réserves au sujet du Bitcoin.
En septembre, Jamie Dimon, le CEO de JPMOrgan Chase, avait menacé de licenciement ses employés qui investiraient dans la monnaie numérique. Axel Weber, président du conseil de surveillance de la banque suisse UBS, avait déclaré le mois dernier que le Bitcoin n’avait aucune valeur intrinsèque, dans la mesure où celle-ci n’était soutenue par aucun gouvernement.
Au début du mois, Tidjane Thiam, Directeur général du Crédit Suisse, avait déclaré que « l’appât du gain [serait] la seule raison pour laquelle certains individus [décideraient] d’acheter ou de vendre des Bitcoins – ceci constitue la définition même de la spéculation, et la définition même d’une bulle. »
Les citoyens du Zimbabwe ou du Venezuela, un pays dans lequel le taux d’inflation annuel accumulé s’élève à 825%, risquent de ne pas être d’accord avec cette dernière affirmation.
« Le transfert du Bitcoin vers la monnaie locale est souvent prise en charge par des entrepreneurs – soit dans des bureaux de change déclarés, soit, à plus petite échelle, par des individus munis d’un simple téléphone portable et de quelques billets, » a expliqué M. Valente.
S’il est encore difficile, sur le continent africain, d’acheter des produits et des services avec des crypto-monnaies, M. Valente a expliqué que de nombreuses boutiques devraient bientôt prendre en charge ce type de paiement.
Et de multiples sociétés sont créées dans les pays émergents afin d’aider les citoyens à utiliser des monnaies numériques. BitPesa Ltd, une startup kenyane, propose ainsi des transfers monétaires internationaux et d’autres services liés au Bitcoin au Nigeria, en Tanzanie, en Uganda ainsi qu’au Kenya. Unocoin fait la même chose en Inde, tout comme Coins.ph en Philippines.
Retour à Paris. À quelques pas de La Maison du Bitcoin se trouve le passage du Grand-Cerf, une rue couverte comprenant plusieurs boutiques. Elles affichent toutes un sticker sur lequel il est écrit « Nous acceptons les Bitcoins. » Ces commerçants vendent un large panel de produits, des antiquités à des vêtements de créateurs. La plupart d’entre eux ont déclaré déjà procéder à quelques transactions en Bitcoin chaque mois, souvent avec des personnes originaires d’Afrique.
« Nous avons fait à peu près une vingtaine de ventes en Bitcoin l’année dernière, » a expliqué Yann Robert, qui gère une boutique de vêtements de créateurs. « Les acheteurs viennent généralement d’Afrique, certains d’Asie (Chine, Japon,…). Et ils sont très heureux, dans la mesure où il n’y a pas encore beaucoup de magasins qui acceptent les Bitcoins. »
Référence : Bloomberg